Qui suis-je ?

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Souvent, je me pose cette question. Et la réponse ne vient jamais. En fait, la réponse vient, mais le problème, c’est qu’elle est souvent différente à chaque fois que je m’interroge. Alors, je mets à plat toutes ses réponses, je les range les unes à coté des autres. Je me dis que toutes ces explications confuses, de moi-même, forment un tout cohérent, moi. Parfois je rencontre quelqu’un, une personne proche, un inconnu, et à travers eux, j’essaie de me voir, je leur demande de me percer. Avec un œil neuf, ou au contraire avec un regard habitué, j’obtiens mon analyse. Je la confronte avec ce qui me semblait admis ou compris. Il en ressort une spirale infinie qui remet en question ce que je croyais avoir défini en moi. Mais alors pourquoi est-ce si compliqué ?

Au départ j’ai posé le problème à l’envers. Plutot que de chercher à savoir qui j’étais, je me suis créé une personnalité qui me plaisait.
Autant être à l’aise dans ses baskets, choisir qui on est, définir ses réactions, ce que l’on aime, ce qu’on déteste. Je fabriquais mon moi. Ca fonctionne quelques années, on s’endort sur sa pseudo réussite, on acquière une confiance en soi démesurée puisqu’on ne se remet pas en question. On ne doute pas, on n’a pas de scrupule, on est parfait. Et puis les temps changent. Certains évènements extérieurs me font réagir d’une façon que je ne désirais pas. Cela m’ennuie, je n’avais pas prévu de perdre le contrôle de ma personnalité. Elle ne faisait plus ce que j’aimais être. Les questions viennent. J’avais réussi à me définir, à me construire, et quelqu’un ou quelque chose avait le moyen de me transformer.

Déception, je n’avais pas tant de pouvoir que cela. J’arrivais enfin à mettre un nom, ou plutôt plusieurs, sur ce virus qui parasitait ma personnalité. Instinct, Plaisir, Émotion, Pulsion. Je suis la victime de phénomènes chimiques dans mon système nerveux sympathique.
Voici donc la cause de ma schizophrénie, mon corps d’un côté, mon esprit de l’autre. Tour à tour ils prennent le contrôle de l’autre, et moi j’assiste impuissant à ce duel de titan. Mais attendez, je viens de dire que j’assistais à un combat, je serais donc trois ? À bien y penser, je ne suis qu’un. Je suis une conscience qui intervient comme juge de mon esprit et de mon corps. En même temps je suis effectivement trois êtres à la fois. Tantôt je choisis d’être mon corps et de suivre mes pulsions, tantôt je choisis d’être mon esprit et de suivre la voie de la raison, tantôt je choisis d’être ma conscience et de suivre mon jugement. Tout cela est évidemment très simplifié, mais l’idée est là. Revenons à nos moutons. Pourquoi est-il si compliqué de savoir qui je suis. On pourrait croire que c’est simple, puisque je viens de dire que je décidais, enfin peut-être.

Parce qu’en fait j’ai entendu parler de ma volonté. Car ce que je veux n’est pas forcement en accord avec ce que je suis. Donc, faisons le point. J’ai une grande boîte, on l’appellera MOI, dedans je mets, le corps, l’esprit, la conscience, la volonté et celui qu’on a jamais vu, mais qui remplace tous les autres quand ils dorment, l’inconscient. Vous remuez le tout et tantôt vous verrez l’un ou l’autre. Maintenant, on admet que vous êtes comme moi. Et bien dans une situation et un jour donné, on aura par exemple mon corps face à votre esprit, le jour suivant, vous aurez ma conscience face à votre corps. Vous voyez, les combinaisons sont nombreuses, et d’elles, il découlera une multitude de conséquences et des perceptions de soi-même et de l’autre qui en plus ne seront pas forcement identiques. Rajoutez à cela un manque d’objectivité, un peu de mensonge et d’hypocrisie, et vous comprenez enfin pourquoi les psy ne mourront jamais de faim. Vous commencez à être perdu ? Moi, il m’arrive de l’être, et après avoir douté, j’en reviens toujours à mes premiers amours. Se définir, choisir qui je suis. Mieux encore, je peux choisir d’être différent en fonction de vous. Je retrouve le pouvoir, je suis celui que j’ai envie d’être et je peux changer quand je veux.

Je me repose, je crois avoir trouvé la solution. Et puis, un nouvel événement particulier, une situation qui met en défaut la perfection du choix, et une nouvelle question apparaît, plus perfide, plus complexe. Pourquoi est-ce que je choisis d’être ainsi ou autrement ? Parce que ça me plaît, parce que j’en ai envie. Mais d’où vient ce désir, ce plaisir ? D’où viennent ces choix, qui font que j’aime être celui que je suis ? Je réfléchis, je trouve, je comprends. Si on choisit d’être tel que l’on est, c’est qu’à chaque acte de notre part, à chaque attitude, à chaque interaction avec le monde qui nous entoure, il y a des conséquences. Elles nous procurent du plaisir, de la satisfaction. Nous vivons pour cela, pour exister. Si nous sommes transparents, fades, sans personnalité, personne ne nous verra. On se repliera sur soi et la vie n’aura plus de sens. D’ailleurs, avez-vous remarqué comme ce mot « sens » est si particulier. Ce n’est pas une coïncidence si ce mot représente à la fois les raisons de notre existence et les récepteurs de nos émotions. La vue, l’odorat, le touché, l’ouïe, le goût, autant de sens qui donne du sens à notre vie, et je vous assure que cela n’est que du bon sens.

On pourrait croire que je m’éloigne du sujet de départ qui était de savoir qui je suis. En fait, je pense au contraire être très proche de la réponse. J’en arrive même à la conclusion suivante : savoir qui je suis, n’est pas une question. La réponse est que nous sommes, ce que nous faisons. Nous ne voyons des autres que ce qu’ils font. Il arrive souvent que nous ne comprenions pas ce qu’ils essaient de faire. Souvenez-vous de ce que vous avez lu plus haut et je vais tenter d’en faire une synthèse. Je prends l’exemple d’être quelqu’un d’aimable. Je choisis d’être aimable (le choix est important, nous sommes libres). Si je fais ce choix, c’est parce que sans m’en rendre compte, les conséquences me plaisent. Je suis aimable, car en retour, les gens me sourient. Je croise quelqu’un qui a fait le choix de ne pas sourire. Il ne comprend pas pourquoi je suis aimable, parce qu’il ne sait pas pourquoi j’ai choisi d’être ainsi, et par extension, parce qu’il ne sait pas qui je suis. Moi je suis aimable, mais cette personne qui ne sourit pas me pose un problème. Elle ne répond pas à mes attentes et je ne comprends pas pourquoi il n’y a pas la réaction attendue. Je ne sais pas que c’est son choix de ne pas sourire et en définitive je ne comprendrais pas qui est cette personne. Ces défauts de perception mutuels nous font douter, et nous commençons à nous poser de multiples questions qui vont nous permettre d’évoluer en fonction de notre vécu. Voilà donc la cause de toute la complexité de notre être. Je suis ce que je fais, pour obtenir du monde, ce que j’aime, et les conséquences de mes actes me permettent de savoir si ce que je fais me permet d’obtenir ce que j’aime afin de savoir qui je suis. Voilà, je sais qui je suis. Enfin, je sais ce qu’il faut faire pour le savoir.

Si vous êtes un peu comme moi, vous repousserez sans cesse les limites de cette exploration. On vous trouvera compliqué, à vous poser des questions là où il n’y en a pas, mais afin de mieux se connaître, il faut parfois faire des choses aux conséquences subtiles.
Sinon vous ferez partie des gens simples, qui ne se posent pas de questions existentielles. Vos plaisirs seront simples, car vos exigences sont clairement définies. Elles ne laissent pas de place aux interprétations. Puisqu’on a le choix d’être qui on veut, simple ou complexe, constant on versatile, il y a une chose à laquelle il faut être vigilant. Il faut être cohérent et honnête. Cohérent, car toutes les facettes de notre personnalité doivent se compléter et ne pas rentrer en contradiction. Par exemple, on peut aimer voir des gens, leur parler pour le plaisir du contact, et en même temps aimer s’isoler et être seul pour le plaisir du calme. Ce sont des états opposés, mais ils se complètent. En revanche, si vous recherchez le contact humain, mais que toutes vos actions font fuir les gens, vous vous retrouvez seul et vous n’avez pas de plaisir. Vous provoquez des actions incompatibles avec l’effet recherché. Par désespoir, vous pourrez éventuellement agir de façon à séduire votre entourage avec une attitude qui ne sera pas la vôtre. Ce qui nous amène à l’honnêteté. Car pour éprouver du plaisir dans les conséquences de nos actes, il faut avant tout en ressentir dans les actes eux-mêmes. Sinon on ment à notre entourage, on se cache la vérité, on est plus maître de notre personnalité, c’est le monde extérieur qui dicte qui nous sommes. Situation tragique qui se répète souvent. Nous n’assumons pas nos actes, pour deux raisons. Soit nous aimons les conséquences, mais nous sommes conscients de ne pas aimer la façon de les obtenir, soit nous aimons faire certaines choses, car nous idéalisons le résultat, mais inconsciemment nous savons que les conséquences seront toujours différentes de nos souhaits. Alors que faire ? 

Toujours revenir à ses premiers amours. Ils sont souvent les plus instinctifs, les plus sincères, les plus simples à mettre en œuvre, et souvent, ils sont les plus proches de ce que nous sommes. Avec le temps vous pourrez affiner votre comportement en fonction de votre expérience et de votre vécu. Et si malgré tout cela, vous avez encore du mal à déterminer qui vous devez être, il ne vous reste qu’à écouter votre cœur. Ainsi dit, c’est très facile, mais la réalité est souvent plus complexe. Alors, je vais vous donner un petit truc pour vous définir. Établissez votre Top 5 de ce qui est le plus important pour vous, une personne, un sentiment, une ligne de conduite…
Ensuite, pour chacun des items de votre Top 5, indiquez trois actions qu’il faut absolument faire pour l’obtenir, et les trois actions qu’il ne faut jamais faire, pour ne pas perdre cet item, si important pour vous. Au final, vous obtiendrez quinze actions à ne jamais faire, et quinze autres qui feront de vous ce que vous devez être pour garantir de ne jamais perdre ce à quoi vous tenez le plus.

Comme je vous le disais plus haut, nous sommes ce que nous faisons. Alors, ne restez pas planté là, agissez pour changer le monde tel que vous voulez le voir… Et surtout tel que vous voulez qu’il vous voie. Car en définitive, il faut donner pour recevoir ! 


Phyleas - 2005


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